Stratégie d’influence: un plan d’attaque
Pour rallier l’opinion à sa cause et créer un environnement propice à ses desseins, une stratégie d’influence efficace est nécessaire. Voici une feuille de route à suivre point par point pour parvenir à ses fins.
Une stratégie d’influence peut être définie comme étant la planification de données informationnelles, humaines, cognitives et financières dans le but d’orienter l’environnement en fonction de ses intérêts. Une telle stratégie repose plus exactement sur deux leviers clefs : les relations publiques et le lobbying. Le premier a pour objet d’orienter l’échiquier psycho-cognitif (attitude et comportement des parties prenantes) et le second vise à domestiquer l’échiquier technico-normatif (ensemble des règles, des normes et des lois qui encadrent le marché). La combinaison des deux leviers doit ainsi permettre à l’entreprise d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés dans les meilleures conditions politiques, financières et temporelles. Une stratégie d’influence repose schématiquement sur un protocole en 8 étapes.
Il existe deux grands types de stratégies d’influence. La stratégie dite structurelle qui inspire, légitime et enracine un nouveau système de normes, de valeurs et de croyances sur le marché, et la stratégie dite conjoncturelle qui s’applique à opérer de menues modulations sur le système en vigueur. Cet article s’appuie sur la deuxième option : l’exemple imaginaire d’un lobby pro-gun briguant l’autorisation du port d’arme au sein d’un État américain récalcitrant.
La première étape consiste à formuler un objectif clair, atteignable et mesurable. La volonté de rallier – d’ici à 12 mois – la majorité des habitants de l’État Y en faveur de la dépénalisation du port d’arme est un exemple d’objectif de ce type.
2. Cartographier l’environnement
Quels sont les freins et leviers (idéologiques, culturels et politiques) susceptibles de venir compliquer ou faciliter l’atteinte de l’objectif fixé ? Le lobby étasunien des armes à feu est, par exemple, conforté par le deuxième amendement de la Constitution américaine. Il peut en revanche se retrouver pénalisé par le traumatisme d’une fusillade meurtrière ou encore l’ancrage territorial d’un appareil politique fermement opposé à un tel projet. Identifier les déterminants idéologiques, culturels et politiques est donc une étape essentielle, incontournable, pour définir une stratégie d’influence efficace.
3. Identifier les acteurs clefs
Il s’agit ensuite d’identifier les institutions, groupes et individus qui incarnent tangiblement ces freins et ces leviers (lire aussi la chronique « Influence : pourquoi certains en ont, et d’autres non« ). Il s’agit d’intellectuels, scientifiques ou politiques dont l’activité favorise ou pénalise l’atteinte de l’objectif fixé. La perception du public à l’égard du port d’arme est, par exemple, indexée à l’activité d’un institut de sondage (définition et ventilation des statistiques d’accidents), d’un média (fréquence et traitement du sujet), d’intellectuels (réflexions sur le principe d’auto-défense), d’associations militantes (mise en avant d’une rhétorique pro ou anti-arme), de films et ouvrages (mettant en scène le détenteur et l’usage de l’arme à feu), etc. Une stratégie d’influence efficace impose à cet égard une parfaite connaissance des liens, intrications et flux entre les acteurs qui fixent et légitiment plus ou moins intentionnellement les règles du jeu idéologique, culturel et politique du marché.
4. Repérer les leviers de basculement
La quatrième étape a pour objet de repérer l’ensemble des manœuvres susceptibles d’opérer une inflexion sur la position des acteurs clefs. Le but étant de convertir les neutres en sympathisants, et les opposants en neutres. On établit – lors de cette étape – un certain nombre d’objectifs intermédiaires susceptibles de conduire à l’atteinte de l’objectif final. Faire adhérer le public au principe que la violence explose, que les forces de police sont impuissantes en raison du délai d’intervention ou qu’un citoyen américain doit protéger sa famille sont autant d’objectifs intermédiaires potentiels, essentiels à l’atteinte de l’objectif final.
5. Identifier les vecteurs
La cinquième étape consiste à identifier les relais appropriés pour diffuser les arguments ainsi que les informations enclines à opérer la bascule. L’idéal étant un tiers neutre et légitime, ayant autorité sur la cible visée. Un think tank sur la sécurité intérieure peut, par exemple, mettre en avant l’augmentation des agressions, un cercle d’intellectuels préconiser un sursaut citoyen, et une association d’avocats démontrer que la Constitution américaine légitime et autorise l’autodéfense. Le tout épaulé par un ensemble de documentaires, films et ouvrages habilement articulés dans le temps, reprenant subtilement les principes évoqués et glorifiant les comportements attendus.
6. Choisir la séquence de lancement
Cette sixième étape est cruciale. Il s’agit de déceler l’instant pour lancer la campagne : un évènement inattendu peut en effet éclipser la sortie d’un ouvrage initialement élaboré pour susciter articles, interviews et talk shows sur le thème du port d’arme, au même titre qu’un fait divers inopiné peut venir conforter la rhétorique que l’on s’applique à diffuser. On entre alors dans une logique dite de synergie médiatique encline à produire des effets inespérés eu égard aux ressources initialement investies dans le projet.
7. Analyser les impacts
La septième étape consiste à évaluer l’effet des opérations d’influence sur le degré d’accomplissement des objectifs intermédiaires et de l’objectif final. Les sondages, les entretiens, surveiller l’activité médiatique, suivre les processus d’élaboration, de conciliation et d’applications des normes, lois et décrets constituent autant de moyens pour évaluer le niveau d’efficacité des opérations menées.
8. Ajuster la campagne
Une stratégie d’influence n’est jamais figée, elle doit s’adapter en permanence aux réactions qu’elle suscite ainsi qu’aux évènements politiques et médiatiques satellites qui ne manqueront pas de venir modifier l’échiquier où se déroule l’opération.
La puissance comme la précision d’une stratégie d’influence est schématiquement déterminée par sa balistique. Autrement dit, l’alignement entre l’objectif, la cible, le discours, le vecteur et le moment d’action. Une stratégie d’influence, pour être efficace, doit cependant répondre aux 8 principes énoncés ci-dessous.
1. Votre cause est inattaquable
La cause que vous défendez est juste, utile et répond à l’intérêt commun, en miroir, l’opposition devra justifier de sa position inverse.
2. Ajustez la sémantique
Bannissez les mots et expressions susceptibles de susciter un rejet ou une controverse contreproductive. Le cas échéant, définissez une sémantique adaptée. Un sondage témoigne, par exemple, que les Américains sont opposés à la « fracture de la roche » mais plutôt favorables au « massage de la roche », un terme édulcoré employé par l’industrie du gaz de schiste en référence à cette même méthode d’extraction. Changez les mots, vous changez les opinions.
3. Suscitez l’évènement
Votre campagne aura d’autant plus d’impact qu’un livre blanc, un ouvrage ou un évènement aura préalablement été lancé et suscitera talk shows et controverses cadrées en fonction de vos intérêts.
4. La majorité est de votre côté
L’opinion se range du côté de la majorité, faites savoir que la plupart des acteurs clefs vous soutient. Les sondages et formules employées doivent témoigner du fait que le débat a déjà été tranché.
5. Simplifiez et sophistiquez le débat
Les arguments doivent être simples à comprendre et à retenir : simplifiez les éléments déterminants et complexifiez – via un jargon abscons – les éléments que vous jugez inutile d’introduire dans le débat.
6. Soutenez les sympathisants
Apportez votre soutien politique, financier et technique aux institutions, groupes et individus qui soutiennent votre cause, légitiment votre rhétorique et produisent des données clefs.
7. Compliquez la position rivale
Relayez les contradictions, inexactitudes et dérapages de vos opposants, mettez en avant la frange radicale de leur mouvement. Vous pouvez même évoquer les arguments des sympathisants radicaux (qui sont opposés au permis de port d’arme, à l’obligation d’un passif judiciaire sein…). Votre position, elle, est raisonnable : elle se situe entre deux extrêmes illégitimes.
8. Divisez la contestation
Établissez une segmentation de vos opposants en fonction de leurs convictions et de leur degré d’investissement, adressez-vous à chacun dans l’espoir de les convaincre, et mettez en avant leur soutien
Source : Ludovic François / hbrfrance